Avant de rentrer dans le vif du sujet, je tiens à vous faire part d’une expérience personnelle qui m’a éclairée des années après et qui guide encore une bonne partie de mes interventions : ce que j’ai appris en étant ouvrier.

Lorsque j'ai commencé à travailler, j'ai enchaîné les petits boulots, certains déclarés, d’autres non, il fallait manger. J’étais jeune, motivé et déterminé. J’ai donc travaillé dans le bâtiment, la pose de meuble, la manutention, la conduite de ligne de production en tant qu’intérimaire ou tâcheron.

Ce que j'ai appris lors de ces premières années, c'est que la motivation est souvent mise à mal par la douleur physique que l'on ressent en fin de journée après avoir fait et des gestes répétitifs, des mouvements bizarres et le mal de dos en portant des charges lourdes. J'ai observé et vécu un grand manque de considération de certains managers terrain, certains étaient blasés et peu enclins à motiver ou manager les équipes.

Souvent les intérimaires que je côtoyais m'expliquaient comment ne pas trop se fatiguer et être bien vu par le chef pour espérer être prolongé. Oui, l'intérimaire qui est prolongé est celui qui fait le travail avec le sourire sans s'étonner des dysfonctionnements : expérience humaine intéressante.

Plus globalement, j'ai remarqué que les postes et organisations du travail ne permettaient pas souvent un travail efficace et ceci pour une raison simple; on fait avec, sans que ce que vivent les ouvriers ne soit remonté ou vécu par les managers ou décideurs.

D’ailleurs, j’ai également observé que les travailleurs expérimentés ont leurs propres méthodes de travail pour compenser les dysfonctionnements et atteindre les résultats attendus avec un minimum d’effort. La différence entre le travail théorique (prescrit)  et le travail réalisé (réel) est assez importante sur le terrain. Sans cette adaptation, il y a de nombreuses situations de travail qui se dégraderaient très rapidement.

J'avais alors associé le travail manuel avec le courage, la débrouillardise et la douleur physique. Lorsque j'ai travaillé en maintenance, j'ai persisté dans cette croyance et il m'est arrivé de me blesser. Cela faisait partie du travail dans ma tête, comme un risque et presque comme une fatalité.

Vivre et comprendre cela après un bac +5 en management, économie et gestion des entreprises m'a permis de comprendre que ce qu'on apprend à l'école manque cruellement d'empathie d’une part et ne permet pas de devenir un bon manager. J’ai d’ailleurs été un mauvais manager lorsque j’ai commencé à encadrer des équipes.

D'intérimaire à manager : partage d'expérience

Si vous souhaitez lire directement les conseils pratiques, vous pouvez passer ce paragraphe qui explique le cheminement qui m’a amené à adopter le Design Thinking.

Donc, après avoir travaillé comme ouvrier et technicien, j'ai évolué sur des fonctions de manager, dans des équipes de différentes tailles.

De part mon expérience passée, j'essayais de concevoir les organisations ou les petites machines pour et avec les utilisateurs dès que j’en avais l’occasion.

C’était étonnant de voir qu’au début, lorsque j’essayais d’impliquer les équipes dans l’amélioration de leurs conditions de travail, cela étonnait les équipiers qui souhaitaient garder une distance avec leur "hiérarchie”. Une technicienne m’avait dit en réunion d’équipe : “il y a l’encadrement d’un côté et l’équipe de l’autre”. Dans le service en question, la séparation entre les “gens du bureau” et les “gens du terrain” était très présente, hors de question de considérer le chef comme faisant partie de l’équipe.

Mais à force de travail, de session sur le terrain pour travailler avec les équipes, de disponibilité, de bons et mauvais moments partagés, une relation de confiance mutuelle a fait disparaître cette séparation chez la majorité de l’équipe. J'avais la chance également d'être épaulé par des managers qui étaient d'anciens ouvriers. Cela m'a beaucoup aidé car on parlait le même langage. A partir de ce moment-là, on a pu travailler main dans la main pour améliorer le travail.

Je me souviens avoir dit à un de mes collègues de l’époque : “ écoutes, je sais que tu ne veux pas que je vois les libertés que tu prends. Si le travail est bien fait, que tu ne te mets pas en danger, ni toi, ni tes collègues et que ce que tu fais permet de faire mieux, pourquoi cela ne m’irait pas ? ”. Cette petite phrase a à jamais changé la réaction de défiance et de méfiance qu’avait cette personne à mon égard, son N+2.

Bref, j’étais à la recherche d’un mode de management qui serait en accord avec mes principes et qui donnerait de meilleurs résultats. J’ai arrêté vers 2008 de chercher un mentor, je n’en trouvais pas et j'ai lu de nombreux articles sur le management participatif, sur l'animation de brainstorming. Je sentais que pour éviter les organisations de travail inadaptées, il valait mieux les concevoir avec les personnes qui allaient vivre avec. Je sentais également que ce qu’on appelle communément le bon sens et le data driven devaient guider mon management.

J’ai donc mis en place des indicateurs opérationnels avec les équipes terrains qui étaient compréhensibles par tous et qui permettaient non seulement de mesurer la productivité des postes et également pouvaient servir à organiser les plannings

Le Lean Manufacturing et le Design Thinking sont devenus des sujets d'intérêts pour moi bien que je trouvais leurs concepts un peu lourds à mettre en œuvre dans les organisations industrielles. On ne dispose pas toujours de données pour réaliser une approche six sigma et l’effort à faire pour les récolter demandait des investissements que ma direction n’était pas prête à consentir. Donc il fallait travailler autrement, en mode Guérilla, en mode Commando, avec des Sprints d’un côté et en faisant du test and learn constamment et surtout il fallait donner du sens au travail.

Je vais détailler ce mode de fonctionnement avec un exemple concret.

Un projet de conception de machine

J'ai eu la chance de travailler sur la conception de machines de production. Notamment un projet qui consistait à simplifier une installation industrielle. Je n'avais pas à l'époque de salle de réunion dans mon service. J'ai donc organisé des réunions de travail en salle de pause, à côté des machines à café, avec les opérateurs de production qui connaissaient bien le process, les techniciens de maintenance qui allaient en faire la maintenance, le service méthode, les automaticiens et les managers de production qui allaient devoir exploiter l'équipement.

Nous avons commencé à travailler à partir de pages blanches (certaines étaient tachées par du café). Nous avions :

  • listé les principaux problèmes rencontrés avec les installations existantes
  • définit les objectifs à atteindre
  • commencé à concevoir les différents type de fonctionnement de l'équipement :- implantation physique des différents sous systèmes- systèmes de régulation- mode de fonctionnement- les écrans de l'ihm- les structures pour permettre les phases de démontages, nettoyages et maintenances…

Tout a été conçu collégialement. Tout a été testés/améliorés par les utilisateurs. Nous avions même réalisé un prototype des pièces mécaniques qui avaient comme objectif de gérer des flux de particules en suspension. Les pièces ont ensuite été usinées d’après nos prototypes réalisés avec du plastique et des feuilles d’aluminium.

Nous avons réussi à modifier et optimiser un équipement industriel avec un budget minimum. Nous avons appris qu'on pouvait améliorer de nombreux aspects d'un équipement de production avec ces méthodes. Il présentait encore quelques défauts mais répondait au cahier des charges que nous nous étions donné et il fonctionne encore de nos jours.

Quelques mois après ce projet, un automate d'un équipement qui effectuait un process très similaire devenait obsolète. On devait changer l'automate et nous nous sommes réunis de nouveau pour appliquer la même méthode d'amélioration pour cet équipement sur l'automatisme et les IHM.

Ce fût une vraie réussite car nous avons sécurisé, fiabilisé et simplifié le fonctionnement de cet équipement. Surtout nous avions impulsé une dynamique de travail collectif et pluridisciplinaire de conception.

Dès lors, ces méthodes faisaient partie de mon mode de management et servaient tantôt à repenser les flux du service, l'implantation d'un magasin, l'organisation des consommables, l'amélioration d'un poste de travail, les approvisionnements des plantes, l'organisations des étuves, l'ordonnancement fin du service.

Ces expérimentations ont renforcé la relation de confiance que j’avais avec mes équipes. Nous travaillions main dans la main avec les opérationnels, des représentants du personnels qui travaillaient à l'usine, le service méthode et on a même réussi à intégrer sur certains projets la médecine du travail.

Nous savions qu'en procédant ainsi, les changements étaient plus positifs car portés par l'équipe. Je me suis approprié des méthodes inspirées de l'ergonomie, du design thinking, de l'école Bauhaus. J'aimais procéder par sprint et sans s'encombrer de certaines phases d'analyse de la données qui me semblaient chronophages. Je préférais faire confiance aux utilisateurs pour définir les priorités.

J'ai mené des projets sans budget, en mode débrouille complet, en faisant des essais avec des pièces bricolées pour essayer des choses et voir si elles marchaient ou pas. Nous ne communiquions pas toujours sur nos essais, cela faisait partie du quotidien. L'idée était d'améliorer notre quotidien et la productivité de notre organisation à moindre coût.

Résultats, avec des budgets d'investissement ridicules, en 3 ans, nous avons diminué par 2 les accidents de travail, par 2 les arrêts de travail, nous n'avons plus eu de retard de planning de production et nous avons amélioré la productivité de certains postes de 10 à 30%. L'équipe était motivé car chaque personne pouvait à son niveau apporter des améliorations dont il bénéficiait.

L'échec du cycle en V

J'ai également mené des projets informatiques, c'était mes débuts en factory 4.0. L’équipe DSI était alors composée de directeurs et de chefs de projets informatiques. Ils avaient leurs méthodes qu’il fallait suivre. Leur méthode était Cycle en V et cela fonctionnait bien tant qu’on ne touchait pas réellement à l’opérationnel. Et lorsqu’on a commencé à travailler sur les mises en place de MES, cela a montré ses limites. Je comprends que c'est pratique pour cadrer les interventions d'une entreprise de prestataires sur l'aspect maîtrise des coûts.

Nous avons failli “planter un très gros projet” car la phase spécification ne pouvait pas prendre en compte l’ensemble des cas possibles sur le terrain, ni compenser les dysfonctionnements générés par le système et l’organisation qui étaient compensés par les opérateurs.

Nous avons repris le projet avec mes collègues de la DSI, la Direction du prestataire de service, notre service qualité et les opérateurs en travaillant davantage avec une méthode participative pour relancer le projet. Ce fut une réussite primée d'un Award.

Ce sont ces mêmes méthodes que j'ai utilisées quelques années après lorsque j'ai mené des projets d'amélioration continue pour le groupe.

Conseils suite à mes expériences

Le Design Thinking est une méthode en 6 étapes cycliques

  • Empathie
  • Définition
  • Idéation
  • Prototype
  • Tests
  • Implémentation

Appliquer au management d’un projet voici mon conseil :

Empathie

Immersion > Intégration > Création de collectif de travail

Si vous devez améliorer une situation dans une organisation, la meilleure façon de le faire est de créer une culture de l’amélioration. Pour cela, la première étape consiste à créer un climat de confiance. Soyez patient et expliquez clairement ce que vous souhaitez atteindre comme objectifs. Révisez vos objectifs pour les faire concorder avec ceux de l’équipe. Sachez qu’aucune action ne sera pérenne si vous n’arrivez pas à impliquer le collectif de travail. Donc la première étape est une étape d’immersion et d’intégration à l’équipe. N’ayez pas peur de remonter vos manches et de travailler avec les équipes sur les process à améliorer. C’est la meilleure garantie que vous pouvez donner à vos équipes de votre implication et de votre volonté d’améliorer leur quotidien.

Une fois que vous aurez vécu avec votre équipe la situation de travail, vous irez beaucoup plus vite sur la phase définition.


Définition

Concrètement quand je réalisais ce type de réunion c’était une série de 1 à 3 réunions d’une heure avec les opérationnels.

Lors de la première réunion, avec votre équipe, vous définirez les problèmes rencontrés, des objectifs opérationnels qualitatifs quantitatifs, les problèmes à résoudre en priorité, les améliorations attendues et mettre en place les KPIs pour mesurer la performance avant amélioration.

A l’issue de ce premier atelier, vous pourrez identifier les ressources externes à mobiliser pour avoir une équipe totalement autonome sur la conduite du projet.

Vous pouvez déjà lancer la récolte d'informations par les opérationnels. Cela peut se résumer à collecter des photos ou des petits films d’illustrations des problèmes ou des statistiques. 

L’objectif est de pouvoir montrer ces supports à des personnes externes au service pour parler le même langage, leur montrer simplement les problèmes, sans jargon technique.

Lors de la seconde réunion, avec votre équipe et les ressources externes (responsable qualité, informatique, automaticien, responsable méthode, …) vous présenterez les problèmes rencontrés et les premières pistes et pourrez définir avec les équipes supports comment vous allez segmenter l’approche et prioriser le traitement des problèmes.

A ce stade vous aurez constitué des petites équipes, découpé le problème en plusieurs petits problèmes plus simples à résoudre et vous aurez défini vos objectifs.

Vous pouvez dorénavant lancer les brainstormings pour chacun des petits groupes de travail.

L’idéation et Prototypage

Concrètement, pour permettre aux équipes de réaliser ces brainstormings, vous devez organiser des réunions et leur libérer du temps pour y participer. Rien de neuf sous le soleil. Les brainstormings d’idéation sont assez simples à animer quand chaque personne connaît tout ou partie du problème. J’aime bien faire la partie idéation et prototypage en même temps. C’est surtout très intéressant lorsqu’on doit repenser une façon de travailler, une organisation. On débat, on définit une ou plusieurs idées, on les priorise et on décide lesquelles on teste.

Une fois qu’on a décidé, on prototype et on teste. Parfois même lorsqu’on n’arrive pas à se mettre d’accord, c’est intéressant de dire : “ on teste l’idée 1, x temps et on teste l’idée 2, x temps et on voit ce que cela donne ”.

Tests

C’est à cette étape que l’on voit ce qui marche et comment on peut l’améliorer pour que ça fonctionne. Et croyez-moi, c’est également là que les idées opposées s’hybrident, se complètent, s’additionnent. Et parfois ça ne fonctionne pas et c’est bien de le savoir. Ce n’est pas grave.

Il est important à cette étape de pouvoir revenir en arrière pour éviter les flops. C’est donc un moment important.

Si en une phrase je devais résumer ce qui est important d’avoir en tête lors des tests, je citerai Jean-Pierre Ceccaldi, mon premier responsable quand je travaillais dans la maintenance qui m’a dit une phrase pleine de bon sens : “Ne modifies pas un système de façon définitive avant d’avoir testé que ça marche. Débrouille toi pour toujours pouvoir revenir en arrière assez rapidement.”

Si vous avez ceci en tête, vous pourrez réaliser de nombreux tests sans prendre de gros risque. Le test est le moment de l’amélioration du concept et de la validation de celui-ci. Autre chose importante que j'allais oublier : ce sont les futurs utilisateurs qui testent et vous vous notez les améliorations à réaliser.

Implémentation

Une fois que la solution est testée, il faut la mettre en place et mesurer l’amélioration sur le moyen terme.

Vous pouvez passer à l’officialisation du changement et au monitoring des résultats de celui-ci. Comme tout changement, il mettra en lumière d’autres problèmes que vous n’aviez pas encore identifiés et sera à améliorer par l’expérience.

Mesurez les résultats obtenus et communiquez sur ceux-ci auprès de vos équipes, voir dans l’entreprise si ces derniers sont vraiment remarquables.

C’est une opportunité de valoriser le travail collectif du groupe de travail et parfois de faire la fête !

De ces aventures, la motivation de vos équipes se nourrit et vous créez une histoire commune.

L’ergonomie et la médecine du travail : des rencontres humaines formidables

Pendant la période à laquelle je fais référence dans cet article, il y a deux personnes que j'ai rencontrées qui ont radicalement changé ma façon d’aborder le travail.

La première s’appelle Amandine Quinçon. Elle est ergonome et je l’ai rencontré lors d’une analyse de poste de travail d’un équipier dans l'unité de production dont j'avais la responsabilité. Amandine m'a expliqué, sans me culpabiliser, les notions de charges mentales, comment apparaissent les troubles musculo squelettiques, elle m’a fait comprendre ce que j’avais du mal à voir : ce n’est pas la dureté d’un travail qui le rend admirable. 

Elle a su aiguiser ma curiosité sur l'ergonomie au sens large en me conseillant de nombreux livres à lire. J'ai alors compris que ma vision du travail était complètement erronée. J’échange régulièrement avec elle et nous avons lié une relation d’amitié.

Grâce aux lectures qu’elle m’a conseillées et à nos discussions que j’ai compris que le savoir-faire d’une équipe réside précisément dans sa capacité d’adaptation et donc dans l’écart naturel qu’il y a entre le travail réel et le travail prescrit.

Ceci a changé mon approche de la conception des organisations, je laisse volontairement des marges de liberté dans mes approches pour permettre l’expérimentation et l’amélioration continue par l’expérience. Ceci a également changé mon approche du knowledge management, mais c’est un sujet trop long pour l’aborder dans cet article.

La seconde personne est le Dr Marie Dominique Le Merrer Layrisse, qui était Médecin du travail et avec qui j’ai pu échanger et construire des organisations de travail. En qualité de médecin de travail, elle faisait preuve d’une véritable bienveillance, d’une implication incroyable pour assurer le bien-être des salariés et il m’est arrivé d’échanger formellement et informellement avec elle sur des organisations possibles. L’éclairage d’un excellent médecin du travail est un vrai plus si vous souhaitez prendre de bonnes décisions.

En résumé 

Pour améliorer les performances de votre équipe et la motiver, vous devez impérativement :

  • vivre des choses avec elle pour être en empathie et vous y intégrer,
  • créer une culture du partage des problèmes rencontrés avec votre équipe,
  • définir des objectifs communs pour motiver les différentes parties prenantes,
  • créer des rituels incluant des services supports et/ou des prestataires de confiance,
  • décomposer les problèmes en plusieurs petits problèmes, les prioriser et constituer des équipes pluridisciplinaires en charge de les régler,
  • permettre des brainstorming lors desquels chacun s’exprime,
  • prototyper, tester, améliorer jusqu’à trouver une solution qui améliore la situation,
  • ne pas avoir peur de l’erreur et l’accueillir comme un apprentissage,
  • implémenter, suivre les indicateurs de réussite,
  • célébrer les réussites.

En somme, apprendre ensemble à construire son organisation et ses outils de travail.

Si vous souhaitez plus d’informations sur les ateliers de co-construction (design sprint, audit terrain, animation de brainstorming…) que nous animons, n’hésitez pas à nous contacter. Ce serait un plaisir de lancer cette dynamique avec vous.

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